Gil Bellis

Gil Bellis, chercheur à l’Ined, travaille sur la génétique des populations, la démographie des maladies génétiques mais aussi sur la problématique des crises démographiques et des populations vulnérables. Il a répondu à nos questions sur ses recherches autour de la mucoviscidose et des maladies génétiques.

(Entretien réalisé en janvier 2024)

Comment étudie-t-on les maladies génétiques sous l’angle démographique ?

Étudier une population de personnes atteintes d’une maladie génétique consiste à l’étudier du point de vue de son nombre, de sa structure, de sa composition, mais également sous l’aspect de l’ensemble des déterminants de son renouvellement (l’ensemble des évènements d’entrée et de sortie de la maladie). 
La mucoviscidose fait partie des maladies rares (elles sont qualifiées comme telles lorsqu’elles touchent une personne sur 2 000 et 7 000 maladies rares environ ont été identifiées). La particularité de ces maladies est qu’elles ont été pendant longtemps mal connues et étaient donc difficilement diagnostiquées. La difficulté, sur le plan démographique, est de parvenir à effectuer un recensement exhaustif des cas relevant de certaines maladies rares. 
Outre les problèmes médicaux qui leur sont spécifiques, ces pathologies peuvent entraîner des restrictions d’activités ou des incapacités qui ont un impact sur les situations scolaires, professionnelles ou encore sociales des malades ; autant de domaines auxquels le démographe va s’intéresser.

Qu’est-ce qu’il a fallu mettre en place comme outils utiles au démographe pour effectuer ces recherches ?

Au début des années 1990, les parents d’enfants atteints de mucoviscidose (l’une des maladies rares les plus graves du point de vue pédiatrique et qui a pour spécificité d’être multi-organes) se sont regroupés en association, avec des institutionnels, en vue de recenser les patients souffrant de cette affection et de caractériser leur mode de vie. L’Ined a contribué à la mise en place d’un système d’information et d’un enregistrement exhaustif des cas de mucoviscidose, dans l’Hexagone, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. En 1992, le Registre français de la mucoviscidose a ainsi été créé. Portée jusqu’en 1998 par l’Inserm, puis par l’Ined à partir de 1999, la gestion du Registre a progressivement été déléguée à l’association Vaincre la Mucoviscidose. Avec une exhaustivité estimée à 95 % environ, on comptait en 2022 près de 7 750 patients atteints de mucoviscidose. 
En 2002-2003, un dépistage néonatal systématique de la mucoviscidose a été instauré en France, ce qui a permis une prise en charge médicale des sujets atteints dès la naissance, mais aussi de repérer les signes avant-coureurs de la dégradation de leur état de santé, ce qui a contribué à améliorer leur qualité de vie et à un allongement de l’espérance de vie. En parallèle, la stratégie thérapeutique a connu de très nets progrès. L’espérance de vie à la naissance est passée de 20-25 ans il y a une quarantaine d’années à plus de 51 ans aujourd’hui. La population adulte a également évolué au fil des années – les sujets âgés de 18 ans et plus représentaient 63 % des patients atteints de mucoviscidose en 2022 – ce qui entraîne de nouvelles problématiques (apparition de comorbidités propres à l’adulte, adéquation de la pathologie avec la vie professionnelle...).

Quels sont les enseignements de ces outils ?

Depuis 1992, le Registre permet de suivre les personnes atteintes de mucoviscidose dès leur naissance et d’enregistrer tous les événements de santé. Cela me permet de voir, en tant que démographe, l’évolution de cette population et de sa structure par âge (compte tenu du type d’hérédité de cette maladie, femmes et hommes sont touchés dans les mêmes proportions). Afin d’explorer les conditions de vie de ces malades et d’établir le relevé de leurs trajectoires de vie, nous avons conduit, de 2017 à 2019, l’enquête « Mucoviscidose, famille et société » qui a porté sur cinq dimensions (la scolarité, la profession, la famille, le logement et la qualité de vie), à laquelle ont répondu un peu plus de 450 malades. Cette enquête a été réalisée en collaboration avec le milieu associatif, le milieu hospitalier et le service des enquêtes et sondages de l’Ined. Il ressort notamment de cette enquête que, du fait de la maladie et des contraintes liées aux traitements médicaux, les parcours scolaires sont marqués par une fréquence élevée de redoublements et que les parcours professionnels sont également marqués par de nombreuses interruptions, de durées parfois assez longues.

En quoi ce travail est-il utile aux décideurs et à la puissance publique ?

Le Registre français de la mucoviscidose, comme l’enquête que nous avons conduite, permettent d’anticiper les futurs besoins de prise en charge des malades. L’augmentation de la population adulte chez les personnes atteintes de mucoviscidose demande de mettre en place des prises en charge spécifiques en milieu hospitalier et d’envisager le placement des malades âgés en EHPAD. Plus largement, les actions entreprises via le Registre (suivi exhaustif des cas, enquêtes spécifiques…) pourraient être appliquées à d’autres maladies génétiques.