Jacques Véron

Directeur de recherche émérite à l’Ined, a répondu à nos questions sur l’ouvrage qu’il a écrit, Faut-il avoir peur de la population mondiale ?

(Entretien réalisé en décembre 2021)

Votre ouvrage s’intitule « Faut-il avoir peur de la population mondiale ? ». Pourquoi un tel titre ?

Entre le début du XIXe siècle et aujourd’hui la population mondiale s’est accrue de 1 milliard à près de 8 milliards d’habitants. N’y aurait-il pas des raisons de s’inquiéter de ce que l’on a pu qualifier d’explosion démographique ? Comment arrêter cette croissance qui pourrait paraître sans fin ? Faudrait-il par exemple renoncer à avoir des enfants pour « sauver la planète » comme on peut l’entendre ? Finalement cette peur de la population mondiale se justifie-t-elle et si c’est le cas que peut-on faire ? Qui peut agir ? Selon quelles modalités ?

Je trouvais utile, en tant que démographe, de faire un point sur ce qu’il semble raisonnable de dire sur cette question dans un souci de clarification. Que penser des évolutions projetées de la population mondiale ? Comment les interpréter par rapport au développement et à l’environnement ? Existe-t-il un consensus sur certaines conséquences des évolutions de la population ? Quelles contraintes sont associées au phénomène d’inertie démographique ? De quelles marges de manœuvre disposent véritablement les pays ? Et si le problème démographique était réglé, n’y aurait-il plus rien à craindre pour la planète ? 

Entre catastrophisme radical et discours rassurants, comment se situer ? J’éprouvais l’envie de préciser ce qui à mes yeux était véritablement en jeu. Sans faire l’impasse sur la complexité.  

Quels impacts la croissance démographique mondiale a-t-elle sur la planète et plus particulièrement sur l’environnement ?

Les biologistes et écologistes ont depuis longtemps accusé la population d’être largement responsable, voire d’être la seule responsable, de la dégradation de l’environnement. De leur côté les démographes étaient réticents à s’aventurer sur un terrain qui ne leur paraissait pas relever vraiment de leur discipline. Ce n’est plus le cas. La thématique des migrations environnementales ou climatiques s’est en particulier imposée dans leur champ disciplinaire. Mais une des grandes difficultés provient de ce qu’il faut concilier visions macroscopique et microscopique des relations entre population et environnement. Ce qui peut paraître prouvé à une échelle locale est difficilement généralisable compte tenu de la diversité des écosystèmes. De plus la répartition sur terre de la population mondiale est très inégale si bien que les problématiques varient d’un lieu à l’autre. 

Pour autant la communauté internationale doit relever le défi d’une pression démographique croissante, ce qui conduit en particulier à militer pour des modes de vie moins agressifs pour l’environnement. Étant donné que la population, la consommation et le progrès technologique combinent leurs effets, si la population mondiale se stabilise, il ne faut pas que la consommation prenne en quelque sorte le relai en augmentant à son tour. Et s’il apporte des solutions, le progrès technologique crée aussi de nouveaux problèmes par l’artificialisation du monde à laquelle il contribue. Quant à la relation entre population et climat elle doit faire l’objet d’investigations complémentaires.   

Il semble quasi-impossible de freiner la croissance de la population mondiale. Quel rôle la démographie comme discipline peut-elle néanmoins jouer dans le débat sur l’avenir de la planète ?

Penser freiner de manière volontariste la population mondiale paraît effectivement illusoire. Quand les politiques de population sont conçues dans le seul but de limiter les naissances, elles sont largement inefficaces. L’histoire de la planification familiale en Inde est là pour le prouver : les premiers programmes datent du début des années 1950 et la stabilisation de la population indienne n’est toujours pas atteinte. En l’absence d’un réel développement, on ne peut s’attendre à une forte baisse de la fécondité dans les pays où elle reste élevée.  Et ce développement devrait pour moi privilégier ce qui touche à la santé et à l’éducation, en particulier féminine. 

Alors, me direz-vous, quelle est la place de la démographie dans tout cela ? Si on revient à l’essentiel, chaque être humain exerce une charge sur l’environnement qui dépend du niveau de sa consommation et du type de celle-ci (en particulier avec quelle facilité les biens qu’il consomme peuvent-ils être recyclés ?). Et à cet égard nous sommes profondément inégaux. L’injustice climatique est un fait incontestable. En théorie les bientôt 8 milliards d’humains devraient être pondérés par leur contribution effective à la dégradation de l’environnement. Mais cela supposerait des décompositions parfaitement impossibles : de nombreuses formes de dégradation de l’environnement comme la déforestation ne sont pas individualisables. La population mondiale n’est pas une et indivisible !  

Toutefois la démographie permet un cadrage général sur la base des projections démographiques. Il reste ensuite à préciser les liens entre dynamiques de populations, environnement et développement. La démographie des événements environnementaux extrêmes est de ce point de vue riche d’enseignements en mettant en évidence des réponses contrastées, en termes de fécondité, de mortalité et de mobilité. Ce sont les systèmes démographiques qu’il faut envisager, et non pas un phénomène particulier, dans leurs liens avec le développement (mais quel développement ?) et avec l’environnement (mais que recouvre exactement ce terme quand plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes ?).