Jenny Garcia, Catalina Torres, Magali Barbieri, Carlo Giovanni Camarda, Emmanuelle Cambois, Arianna Caporali, France Meslé, Svitlana Poniakina et Jean-Marie Robine

ont répondu à nos questions sur l’article "Différences de mortalité par Covid-19 : conséquence des imperfections et de la diversité des systèmes de collecte des données".

(Entretien réalisé en juin 2021)

Quels sont les obstacles aux comparaisons internationales des données sur les décès par Covid-19 ?

Avec la pandémie de COVID-19, il a fallu concevoir de nouveaux systèmes de collecte des données ou, au minimum, mettre à jour rapidement les systèmes existants. De ce fait, les données collectées diffèrent non seulement entre les pays mais aussi au sein de ceux-ci, car l’identification des cas et la collecte s’améliore progressivement. Ce processus est à l’origine de modifications artificielles des tendances pandémiques et conduit à des données démographiques en temps réel imparfaites. Pour éviter que les comparaisons internationales ne soient faussées, toute analyse des statistiques de la COVID-19 doit tenir compte des disparités de couverture et de représentativité des données. Les obstacles aux comparaisons internationales viennent surtout de l’hétérogénéité des données officielles en ce qui concerne trois points clés: 1) les définitions des données (cause du décès, stratégies de dépis­tage, mécanisme de confirmation des cas et prise en compte des « cas pro­bables ») ; 2) la collecte des données (type de système, couverture des lieux de décès, vérification et délai de remontée) ; 3) la publication des données (date de référence et fréquence).

Par exemple, pour illustrer, au départ, seuls les décès dont la cause avait été confirmée par laboratoire étaient déclarés en Belgique, par Sciensano, l’institut de santé publique. Avec le développement de la pandémie, les chiffres ont commencé à englober les cas présumés ou probables, en cas de symptômes ou de contact avéré avec un cas positif. Sur les 9 765 décès attribués au COVID-19 en Belgique au 2 juillet 2020, seulement 60 % (5 828) avaient été confirmés par un test PCR. Aux Pays-Bas, l’Institut national néerlandais pour la santé publique et l’environnement (Rijksinstituut voor Volksgezondheid) a publié des décomptes de décès par Covid-19 qui n’incluent que les cas confirmés en laboratoire. Entre le début de la pandémie et le 30 juin 2020, selon le système de statistiques d’état civil du bureau de statistiques néerlandais (Centraal Bureau voor de Statistiek, CBS) en plus de cas confirmés par laboratoire, il y avait 2 270 décès probables pour le même période. Si l’Institut national néerlandais pour la santé publique et l’environnement avaient utilisé la définition de la Belgique, qui inclut les cas confirmés en laboratoire et les cas probables, ces décomptes auraient déclaré environ 30 % de décès supplémentaires.

Compte tenu de l’hétérogénéité des pays sur ces différents plans, il faut impérativement tenir compte des particularités des données sur la mortalité par COVID -19 pour mieux interpréter les résultats des analyses statistiques ou démographiques.

Peut-on identifier une classification par groupe de pays s’appuyant sur les mêmes données et procédant à des recueils semblables de données ?

Malgré les nombreux inconvénients identifiés dans l’article, on a pu identifier que des comparaisons internationales sont possibles entre sources de données similaires. Nous proposons trois groupes de sources de données, selon les caractéristiques observées durant la première vague de COVID-19, lorsque la quantité et la stratégie d’application des tests varient entre pays et peu de pays publiaient des données de l’état civil. Ces groupes se distinguent par la complétude des décomptes fournis, soit exhaustifs, prudents ou partiels. Nous classons dans ces groupes les sources de données de 16 pays, telles qu’elles étaient disponibles en septembre 2020.  

Les statistiques d’état civil sont les sources de données qui fournissent les informations les plus exhaustives, normalisées et vérifiées sur la mortalité de la population dans son ensemble. Quand les décomptes officiels de décès par Covid-19 reposent sur ces statistiques, ils dépendent peu des capacités de dépistage. Bien que les systèmes de surveillance ou des agences de santé permettent d’obtenir plus rapidement des décomptes de décès par Covid-19 en facilitant le suivi quotidien des tendances et du rythme de la pandémie, leurs limites impliquent que les décomptes qu’ils fournissent soient plutôt prudents (par exemple ne décompter que les décès dont la COVID-19 a été confirmée par laboratoire) ou partiels (par exemple ne décompter que les décès survenus à l’hôpital). La sous-déclaration inhérente à ces systèmes de collecte des données dépend du pourcentage de décès survenant au sein du système de santé et déclaré dans ce cadre. De même, le pourcentage de décès hospitaliers est directement lié aux capacités du système (nombre d’hôpitaux, nombre de lits, y compris en unités de soins intensifs, etc.). 

On observe une surmortalité masculine plus élevée en France. Quelles en sont les raisons? Qu’en est-il des autres pays?

On observe une surmortalité masculine par Covid-19 dans tous les pays étudiés. Cette surmortalité est très comparable à celle qui existe pour la mortalité toutes causes et, de la même façon, le léger excès de surmortalité masculine enregistré en France par rapport aux autres pays est du même ordre que celui observé pour l’ensemble des décès. On l’explique essentiellement par une plus grande fragilité des hommes face à la mort liée à des comportements à risque plus fréquents chez les hommes que chez les femmes et à une plus grande attention portée par les femmes à leur santé. Il est trop tôt pour savoir si des différences de comportement entre les hommes et les femmes face à la Covid-19 (respect des gestes barrières, vaccination) ainsi que des inégalités dans l’exposition au risque ont pu renforcer ou au contraire réduire la surmortalité masculine observée hors crise.