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L’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français : quels enjeux aujourd’hui ?

Population et Sociétés

593, octobre 2021

https://doi.org/10.3917/popsoc.593.0001 

L’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français : quels enjeux aujourd’hui ?

La loi de bioéthique a été révisée en 2021 pour tenir compte des avancées sociétales et médicales, notamment en matière d’aide médicale à la procréation (AMP). Un des objectifs était de limiter les recours à l’AMP qui se font en dehors du cadre légal et médical français. Comparativement à d’autres pays européens, la législation française reste néanmoins restrictive et ces recours pourraient perdurer. Pour mieux comprendre la situation et anticiper les évolutions, l’Ined lance l’enquête AMP-sans-frontières pour étudier la diversité des expériences et pratiques de l’aide à la procréation.

Aide médicale à la procréation, AMP, fécondation in vitro, FIV, don de gamètes, don d’ovocytes, AMP transnationale, loi de bioéthique, France, Europe

Table of contents

      1.

      L’offre française d’aide médicale à la procréation (AMP) permet à des femmes et des hommes de devenir parents, mais certains vont à l’étranger pour obtenir de l’aide. Pour quelles raisons ? Combien sont-ils ? Après avoir présenté la législation française en la matière et l’avoir située par rapport à celle des pays voisins, Virginie Rozée et Elise de La Rochebrochard nous présentent l’enquête AMP sans frontières qui vise à mieux connaître ces recours « hors cadre » français

      La loi de bioéthique a été révisée en juin 2021. Elle définit notamment les conditions d’accès et les modalités de l’aide médicale à la procréation (AMP) (encadré 1). Les changements votés visent en particulier à offrir un cadre plus adapté aux besoins des Français et Françaises pour éviter qu’ils et elles ne recourent à l’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français. Cependant, ces recours hors « cadre » sont mal connus et leur nombre n’a jamais fait l’objet d’estimation solide. Comment savoir alors si la nouvelle loi apportera une réponse efficace à un enjeu de société encore peu compris ?

      1.1. Encadré 1. Définition de l’aide médicale à la procréation (AMP)

      L’aide médicale à la procréation (AMP), également appelée « procréation médicalement assistée » (PMA), regroupe deux principales techniques médicales qui peuvent se décliner selon différentes modalités :

      • l’insémination artificielle (IA) : le sperme du conjoint ou d’un donneur (on parle alors d’insémination artificielle avec donneur, IAD) est déposé dans l’appareil reproductif de la femme.

      • la fécondation in vitro (FIV) : lorsque la fécondation a lieu en éprouvette, les embryons pouvant être issus des gamètes des parents ou de donneurs (donneuse d’ovocytes, donneur de sperme, double don, ou accueil d’embryon).

      Toutes les autres techniques existantes sont des variantes ou dérivées de l’IA ou de la FIV (comme la gestation pour autrui ou le diagnostic préimplantatoire qui permet de détecter des anomalies génétiques ou chromosomiques sur l’embryon juste après la fécondation). Effectuée dans l’optique d’être en mesure de réaliser plus tard une FIV, l’autoconservation ovocytaire permet aux femmes de conserver leurs ovocytes pour une utilisation ultérieure.

      Sont exclues de l’AMP toutes les techniques et procédés qui ne requièrent pas de manipulations médicales des spermatozoïdes, des ovocytes et/ou des embryons. C’est pourquoi nous parlons également ici d’« aide à la procréation » qui se veut plus large puisqu’elle inclut toutes les pratiques sans assistance médicale (comme l’insémination artisanale, qui n’est pas réalisée par un ou une professionnel·le de santé).

      L’Ined lance une enquête pour comprendre et mesurer les recours à l’aide à la procréation hors du cadre légal et médical français (encadré 2). Mais quelle est la situation actuelle ? Comment la législation française se situe-t-elle en Europe ? Et que savons-nous sur les recours hors « cadre » ?

      1.1. Encadré 2. Participer à l’enquête AMP sans frontières : qui et comment ?

      1.1. La nouvelle loi de bioéthique

      La loi de bioéthique fait régulièrement l’objet de révisions législatives pour tenir compte des avancées sociétales et médicales. Concernant l’AMP, la révision de 2021 inclut principalement trois grandes évolutions :

      1. L’accès à l’AMP pour toutes les femmes indépendamment de leur situation matrimoniale, alors que jusqu’ici l’AMP était réservée aux couples hétérosexuels.

      2. L’accès aux origines pour les enfants issus d’un don de gamètes, c’est-à-dire la possibilité pour eux d’avoir des informations sur le donneur ou la donneuse, alors que jusqu’ici le don de gamètes était strictement anonyme.

      3. L’autorisation de l’autoconservation ovocytaire pour toutes les femmes, y compris pour des raisons non médicales, alors que cette technique n’était autorisée jusqu’à présent que pour des raisons médicales (lorsqu’un traitement, comme la chimiothérapie, altère la fertilité) ou dans le cadre d’un don d’ovocytes.

      1.2. Comment se situe la législation française en Europe ?

      La comparaison avec les autres pays européens révèle que la France avait l’une des législations les plus restrictives d’Europe [1] et que son évolution reste mesurée au regard des législations de bien d’autres pays.

      La Société européenne pour la reproduction humaine et l’embryologie (ESHRE selon son acronyme anglais) a comparé 43 pays au 31 décembre 2018 grâce à une enquête menée par le consortium européen de surveillance de la fécondation in vitro. L’enquête portait sur les législations mais aussi sur les pratiques qui sont possibles sans pour autant être légalement encadrées. Dans la suite de cet article, nous travaillons sur les cas de 41 pays (tableau) après exclusion de ceux n’autorisant pas le don de gamètes pour les couples hétérosexuels (la Turquie et la Bosnie-Herzégovine).

      Tableau. Encadrement de l‘AMP dans 41 pays européens*
      Tableau. Encadrement de l‘AMP dans 41 pays européens*

      En 2018, dans les trois quarts des pays, le don de sperme est pratiqué pour les femmes seules et/ou les couples de femmes : l’accès pour les femmes seules est possible dans 30 pays, celui pour les couples de femmes dans 18 pays. De même, dans les trois quarts des pays, l’autoconservation ovocytaire pour raison non médicale est déjà possible. Concernant le don de gamètes, deux pays sur trois pratiquent un don qui n’est pas complètement anonyme. Le don est complètement non anonyme dans 2 des 41 pays, 13 pays proposent un système mixte, anonyme et non anonyme, tandis que 7 autres pays permettent l’accès à des informations sur le donneur ou la donneuse uniquement aux enfants (et non aux parents). Enfin, 5 pays permettent la levée de l’anonymat uniquement en cas de maladie grave de l’enfant.

      Ces quelques données montrent que la législation française avant la révision de 2021 était plus restrictive que celle qui prévaut dans de nombreux autres pays européens. Cet écart entre la législation française et les pratiques en AMP de ses voisins a entraîné un phénomène de recours transnationaux, c’est-à-dire que des femmes et des hommes résidant en France traversent les frontières pour pouvoir bénéficier d’une AMP à l’étranger.

      1.3. Combien d’AMP transnationales ? Des estimations incertaines

      Au-delà de la France, les recours transnationaux à l’AMP constituent un phénomène mondial qui concerne par exemple des personnes du Royaume-Uni allant en Espagne ou en République tchèque ; du Canada aux États-Unis ou au Mexique ; d’Australie en Asie du Sud-Est. Cependant, la France semble faire partie des pays qui viennent le plus nourrir les recours transnationaux en Europe, ainsi que le notent deux études sur le sujet [2, 3].

      Dans la première, l’ESHRE a mesuré ce phénomène en 2008-2009 dans six pays européens accueillant les demandes d’AMP transnationales : la Belgique, la République tchèque, le Danemark, la Slovénie, l’Espagne et la Suisse [2]. Seuls 46 centres d’AMP ont participé à l’étude, soit 17 % des centres dans ces 6 pays. À partir de l’activité observée durant un mois, l’ESHRE a estimé que dans ces centres, 12 000 à 15 000 AMP transnationales par an étaient réalisées à l’époque. Étant donné que moins d’un centre sur cinq a participé à l’étude, ce nombre pourrait être plus de 5 fois plus élevé (plus précisément 5,7 fois plus). Il faudrait également rajouter les AMP transnationales réalisées dans des pays européens n’ayant pas participé à l’étude, comme la Grèce1. Mais, dans un contexte où l’on sait très peu de choses sur l’AMP transnationale, l’ESHRE a préféré s’en tenir à une estimation très prudente en indiquant que ce nombre devrait être multiplié par 2 « au minimum ». Les auteurs arrivent ainsi à un minimum de 11 000 à 14 000 patients transnationaux chaque année dans ces 6 pays. En appliquant le facteur multiplicatif de 5,7, on obtient entre 31 000 et 40 000 patients par an. La fourchette très large – de 11 000 à 40 000 patients annuels –, révèle l’incertitude des estimations. Concernant le pays de provenance des patients transnationaux, la majorité d’entre eux venaient de quatre pays : l’Italie (32 %), l’Allemagne (14 %), les Pays-Bas (12 %) et la France (9 %). La majorité des personnes provenant de France (85 %) étaient allées en Belgique, mais cette observation était probablement liée au fait que 50 % des centres d’AMP belges avaient participé à l’étude (9 sur 18), alors que seuls quelques centres espagnols étaient inclus (pour un pays en comptant environ 180).

      L’autre étude a été menée dans 16 centres d’AMP belges (sur les 18 du pays) et a analysé l’AMP transnationale au cours de la période 2000-2007 [3]. Elle révèle que la très grande majorité des patients transnationaux viennent des quatre pays également identifiés dans l’étude de l’ESHRE : la France (38 %), les Pays-Bas (29 %), l’Italie (12 %) et l’Allemagne (10 %). Les patients provenant de France réalisaient dans les trois quarts des cas (73 %) des AMP avec don de sperme. Ce recours des Français et Françaises au don de sperme en Belgique était en forte expansion avec une progression d’un tiers entre 2005 et 2007, passant de 400 à 600 patients.

      Ces études pionnières présentent l’une et l’autre d’importantes limites, si bien qu’elles ne permettent pas d’établir une estimation solide du nombre d’AMP transnationales. Par ailleurs, ces recours pourraient avoir fortement augmenté depuis leur réalisation il y a plus d’une décennie. Malheureusement, aucune nouvelle grande étude statistique n’a été réalisée sur l’AMP transnationale depuis 2009.

      Un point de convergence important entre ces deux études est qu’elles mettent en évidence le fait que les personnes résidant en France participaient fortement aux AMP transnationales. Comment la situation a-t-elle évolué depuis, et quels changements peut-on attendre demain avec la révision de la loi de bioéthique ?

      1.4. Pourquoi réaliser une AMP transnationale ?

      En France, une étude qualitative a été menée en 2010-2012 par l’Ined [4]. Elle a montré que les raisons de l’AMP transnationale pour les personnes résidant en France étaient de contourner les restrictions légales et médicales, mais aussi d’obtenir des soins médicaux considérés comme plus rapides, plus efficaces et plus personnalisés, en particulier pour les couples hétérosexuels qui pouvaient légalement recourir à une AMP en France.

      La révision de la loi va réduire les restrictions légales qui étaient à l’origine d’une partie des AMP transnationales. Cet élargissement laisse néanmoins à la marge certaines personnes (comme les couples d’hommes et les personnes transgenres) et maintient l’interdiction de certaines techniques, bien qu’elles soient possibles (autorisées ou non interdites) ailleurs en Europe [1]. La gestation pour autrui reste strictement interdite en France, tandis qu’elle est possible dans 15 pays européens, comme la Belgique et les Pays-Bas (tableau). Il en est de même pour l’AMP post-mortem, autorisée en Belgique, en Espagne et au Royaume-Uni ; ou encore la fécondation in vitro (FIV) lorsque la grossesse est menée par une femme avec les ovocytes de sa partenaire (méthode appelée réception d’ovocytes de la partenaire, Ropa), possible en Espagne et en Belgique. Les personnes transgenres peuvent quant à elle recourir à une AMP sans condition préalable dans 19 pays européens (tableau).

      Au-delà de ces motifs légaux, les difficultés dans la prise en charge médicale et l’organisation de l’AMP continueront probablement dans les prochaines années à entrainer des recours transnationaux. La principale difficulté dans l’activité d’AMP en France semble se concentrer sur le don de gamètes, et plus particulièrement le don d’ovocytes, avec de longues listes d’attente.

      L’activité d’AMP avec don d’ovocytes est très faible en France, elle représente 1 % de l’ensemble des FIV réalisées dans le pays. À titre de comparaison, en 2016, au Royaume-Uni, 5 % des FIV était réalisées avec don d’ovocytes, et 6 % en Italie (où cette technique est autorisée depuis 2014). Cette faible activité de don d’ovocytes en France pousse certains et certaines à partir à l’étranger pour surmonter l’obstacle des délais d’attente en France.

      1.5. L’étude « AMP sans frontières » pour répondre aux nouveaux enjeux

      Tous ces éléments semblent indiquer que l’AMP transnationale va perdurer en France, même après la mise en application de la nouvelle loi de bioéthique. Afin d’apporter un éclairage scientifique sur ce phénomène, l’Ined a lancé le 1er octobre 2021 l’étude « AMP sans frontières ».

      Toutes les personnes qui se sentent concernées par les recours à l’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français sont invitées à remplir un questionnaire en ligne qui retrace leurs parcours et expérience (https://amp-sans-frontieres.fr/)2(2).

      Cette enquête permettra d’explorer combien de personnes sont concernées par les AMP « hors cadre » légal et médical français, mais également quels sont leurs parcours. Ces questions seront traitées de manière large en considérant non seulement les recours transnationaux mais aussi tous ceux qui se font en France en dehors de toute assistance médicale et sur lesquels on dispose de peu d’informations (comme la gestation pour autrui clandestine avec des femmes qui proposent leurs services sur internet, ou l’insémination artisanale, qui se fait à la maison, notamment avec du sperme importé de l’étranger).

      Appendix A Références

      1. [1] C. Calhaz-Jorge et al., 2020, Survey on ART and IUI: legislation, regulation, funding and registries in European countries, Human Reproduction Open, 2020(1), p. 1-15.
      2. [2] F. Shenfield et al., 2010, Cross border reproductive care in six European countries, Human Reproduction, 25(6), p. 1361-1368.
      3. [3] G. Pennings et al., 2009,Cross-border reproductive care in Belgium, Human Reproduction, 24(12), p. 3108-3118.
      4. [4] V. Rozée. et E. De La Rochebrochard, 2013, Cross-border reproductive care among French patients: Experiences in Greece, Spain and Belgium, Human Reproduction, 28(11), p. 3103-3110.
      Notes
      1.

      La Grèce est connue pour pratiquer l’AMP transnationale, en particulier avec don d’ovocytes. L’absence de ce pays dans l’étude de l’ESHRE pourrait s’expliquer par la difficulté d’obtenir des informations sur les centres d’AMP grecs, puisque seuls 4 centres sur les 50 du pays ont participé au bilan européen général d’AMP pour l’année 2009.

      2.

      Pour mener cette étude, deux options méthodologiques étaient envisageables : passer par les cliniques étrangères pour contacter leurs patients (démarche retenue dans les études menées jusqu’à présent avec les limites que nous avons présentées) ou envisager une nouvelle méthodologie en s’appuyant sur le réseau d’associations en France et les réseaux sociaux qui accompagnent ces démarches pour contacter directement les femmes et les hommes concernés par ces recours hors cadre légal et médical. Après un travail méthodologique mené avec les spécialistes des enquêtes et des méthodes statistiques de l’Ined (ce travail fait l’objet d’un document de travail librement accessible : https://www.ined.fr/fr/publications/editions/document-travail/quelles-methodes-pour-estimer-taille-population-difficile-a-enqueter/), la seconde option a été retenue. Pour analyser cet échantillon recruté sans plan de sondage, des méthodes statistiques spécifiques doivent être mobilisées (voir document de travail), celle retenue ici se nomme le « benchmark-multiplier ».

      Virginie Rozée and Elise de La Rochebrochard. Date: 2021-10-18T07:31:00

      La loi de bioéthique a été révisée en 2021 pour tenir compte des avancées sociétales et médicales, notamment en matière d’aide médicale à la procréation (AMP). Un des objectifs était de limiter les recours à l’AMP qui se font en dehors du cadre légal et médical français. Comparativement à d’autres pays européens, la législation française reste néanmoins restrictive et ces recours pourraient perdurer. Pour mieux comprendre la situation et anticiper les évolutions, l’Ined lance l’enquête AMP-sans-frontières pour étudier la diversité des expériences et pratiques de l’aide à la procréation.

      Citer l’article

      Virginie Rozée, Elise de La Rochebrochard - "L’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français : quels enjeux aujourd’hui ?"

      Popetsoc 593, Octobre 2021

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