L’inexorable augmentation des centenaires et supercentenaires

Jusqu’au milieu du XXe siècle, rares ont vraisemblablement été les humains ayant dépassé les 100 ans. La très forte mortalité infantile associée à des risques de décès élevés tout au long de la vie réduisait les possibilités de devenir nonagénaire et a fortiori centenaire. Cependant, avec la réduction drastique de la mortalité des enfants et jeunes adultes au XXe siècle en Europe et, dans les dernières décennies du siècle, le déclin de la mortalité aux âges élevés, les effectifs des plus âgés se sont rapidement renforcés. 

Alors que seules 0,02 % des personnes nées en France en 1850 sont devenues centenaires, cette proportion s’élève à 2 % pour la génération 1920 soit une multiplication par 100 de la probabilité d’atteindre 100 ans. L’augmentation du nombre de centenaires depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale est spectaculaire : plus de 1 000 centenaires en France en 1970, plus de 8 000 en 2000, plus de 31 000 au 1er janvier 2024, soit trente fois plus qu’il y a 50 ans. Sous l’hypothèse d’une poursuite des tendances actuelles de la mortalité, l’Insee projette plus de 200 000 centenaires en 2070 (Blanpain 2023).

Une multiplication des décès au-delà de 105 ans… surtout chez les femmes

Au sein même de ces centenaires, les années récentes ont vu s’imposer une nouvelle classe d’âges, les 105 ans ou plus (Vallin et Meslé, 2024). Bien sûr, ce nombre est encore dérisoire (moins de 0,15%) comparé aux plus de 600 000 décès observés chaque année en France mais son explosion est spectaculaire. Limité à quelques unités jusqu’à la fin des années 1980, il augmente très vite pour atteindre 924 en 2020. 

L’immense majorité des personnes décédées à 105 ans ou plus sont des femmes (843 femmes et 81 hommes en 2020, soit 10 fois plus de femmes que d’hommes). Ce ratio impressionnant tient entièrement à la surmortalité masculine, qui prévaut tout au long de la vie, notamment aux âges actifs, et qui réduit d’autant les effectifs des générations masculines par rapport à leurs homologues féminines.

Le profil des supercentenaires

On appelle supercentenaires les personnes ayant atteint l’âge de 110 ans. Dépasser cet âge reste un événement rare mais sa fréquence s’est à son tour fortement accrue dans les dernières décennies. En 2022, ce sont 39 personnes qui sont décédées à 110 ans ou plus - avec une écrasante majorité de femmes, 38 sur 39. 

D’un département à l’autre, en France hexagonale, le nombre de supercentenaires rapportés à la population varie de 0 à 17 pour un million d’habitants sans qu’une géographie précise n’apparaisse. La Guadeloupe et la Martinique, avec respectivement 44 et 36 supercentenaires, pour un million d’habitants se distinguent toutefois nettement : proportionnellement à la population, on trouve près de 8 fois plus de supercentenaires en Guadeloupe et en Martinique qu’en France hexagonale (Vallin 2021).

Les limites de la vie humaine sans cesse repoussées

Faut-il en conclure que la longévité humaine augmente ? Des recherches défendent l’idée selon laquelle les taux de mortalité seraient essentiellement constants au-delà de 105 ans. L’existence de ce plateau signifierait que, passés 105 ans, les taux de mortalité cessent de dépendre de l’âge et restent les mêmes quel que soit l’âge. Cela impliquerait qu’il n’y a pas de limites strictes à la longévité humaine, les valeurs les plus élevées observées ne dépendant que du nombre des personnes atteignant l’âge de ce plateau. Mais une étude récente impliquant l’Ined suggère au contraire une augmentation des taux de mortalité au-delà de 105 ans, sans aucun indice en faveur d’un plateau de mortalité (Dang, Camarda, Meslé et al, 2023).

 Il se pourrait que la limite maximale de la vie humaine reste en fait inchangée (sans qu’elle soit connue) et que l’augmentation du nombre de centenaires soit simplement la conséquence mécanique de la hausse de l’espérance de vie liée au progrès sanitaire. Plus le nombre de personnes vivant jusqu’à 90 ans est élevé, plus il y a de chances qu’une partie de la population atteigne 100 ans. La montée spectaculaire de l’espérance de vie au XXe siècle reposait avant tout sur la baisse de la mortalité des enfants et des jeunes adultes. Ce n’est que dans la seconde moitié du siècle et surtout à partir des années 1970, avec le succès de la lutte contre les maladies cardio-vasculaires, que la mortalité des personnes âgées a commencé à reculer, accélérant le vieillissement de la population et augmentant plus que jamais les chances d’atteindre 100 ans (Vallin et Meslé, 2001). Ainsi, dans l’hypothèse d’une poursuite régulière de la baisse de la mortalité, 11 % des enfants nés en 2000 pourraient devenir centenaires (16 % des filles et 4 % des garçons). 

Sources : 

Vivre au-delà de 105 ans : quand l’improbable devient réalité, France Meslé, Jacques Vallin, Carlo-Giovanni Camarda et al., Population et Sociétés, n° 621, 2024

30 000 centenaires en France en 2023, près de 30 fois plus qu’en 1970, Nathalie Blanpain, Insee Première, n° 1943, avril 2023

The question of the human mortality plateau: Contrasting insights by longevity pioneers, Linh Hoang Khanh Dang, Carlo Giovanni Camarda, France Meslé et al., Demographic Research, 48(11), 2023

Huit fois plus de supercentenaires aux Antilles qu’en France métropolitaine, Jacques Vallin, Gérontologie et Société, 43(166), 2021

Vivre au-delà de 100 ans, Jacques Vallin et France Meslé, Population et Sociétés, n° 365, 2001

Contact : France Meslé, Carlo Giovanni Camarda

Mis en ligne : avril 2024