Construction des inégalités dans l’enfance et la jeunesse

Au-delà des capacités cognitives et non cognitives individuelles, les sources d’inégalités durant l’enfance et la jeunesse sont nombreuses et peuvent être liées à l’environnement familial, au contexte économique ou à l’institution scolaire, ainsi qu’à combinaison de ces différents facteurs. Ces inégalités, visibles à de très jeunes âges modulent le développement du nourrisson puis de l’enfant et façonnent ensuite les trajectoires individuelles des jeunes adultes dans différents domaines en matière d’obtention de diplômes, d’emploi, de santé physique et mentale, de conditions de logement, etc. Elles peuvent se résorber grâce à des politiques publiques ou au contraire s’amplifier au fil des parcours. Pour cette raison, il convient d’étudier dès le plus jeune âge la construction des inégalités dans les trajectoires individuelles. Notre projet vise à quantifier ces inégalités, à comprendre leurs déterminants et à saisir leurs conséquences.
Nous regarderons en particulier si la période de la petite enfance et de l’entrée à l’âge adulte sont des périodes si cruciales, et si certains cas comme l’apprentissage de la parole et la lecture sont effectivement clefs. Nous analyserons si les inégalités ne font que s’accentuer au fil de l’enfance ou peuvent aussi de résorber (et les retards se combler) avec par exemple un accès à un enseignement de qualité pour tous. Cela pourra nous aider à discuter le ciblage des moyens éducatifs sur les plus défavorisés, et comparer les inégalités socio-économiques en France relativement à d’autres pays. Si les politiques publiques qui visent à favoriser le développement des compétences durant l'enfance se focalisent sur les politiques d’éducation, l’éventail de politiques qui peuvent avoir un impact sur le développement de l'enfant est beaucoup plus large : politique d’accueil de la petite enfance, services de santé, politiques familiales (congés de maternité, paternité et parental), politique de lutte contre la pauvreté, etc. Nous porterons donc un regard large sur ces différents types de politiques publiques et leur impact sur les inégalités chez les enfants. Un focus de ce projet sera aussi de regarder plus particulièrement les dynamiques pour certains groupes d’enfants tels que les migrants ou ceux issus de l’immigration.

Lors des dernières assises de l'école maternelle, le président de la République a annoncé l'abaissement de l'âge de l'instruction obligatoire à 3 ans (au lieu de 6 ans), avec l’objectif de réduire les inégalités sociales dès le plus jeune âge et de construire une véritable "école du langage et de l'épanouissement". La réduction du nombre d’enfants en classe de cours préparatoire est une autre mesure récente visant à réduire les inégalités dans les apprentissages des enfants. Si les politiques publiques se focalisent autant sur les premières années de vie que ce soit en termes d’accès à un mode de garde, d’entrée précoce à l’école maternelle, ou de bonnes conditions d’apprentissage à l’école primaire, c’est dans l’espoir que les inégalités socio-économiques peuvent plus facilement se résorber à ces âges-là qu’à des âges plus avancés.
Différentes disciplines ont proposé des cadres théoriques pour comprendre les écarts socio-économiques observés dès l’enfance. Dans une approche dite de "capital humain", l'enfance et l’entrée à l'âge adulte sont considérées comme des périodes clés pour comprendre la distribution des principales caractéristiques ultérieures, qu'il s'agisse des qualifications, du revenu, du risque de chômage ou d’inactivité. Les modèles économiques d'acquisition de compétences montrent, entre autres, qu’un faible revenu peut limiter la capacité des parents à accéder aux soins de santé adéquats ou à une éducation de qualité pour leurs enfants (Knudsen et al 2006). Les psychologues suggèrent que l'insécurité financière fragilise la santé mentale des parents et, par conséquent, leur comportement vis-à-vis de l’enfant (Conger et al. 2002). Récemment, l'accent a été mis sur le rôle de l'environnement d'apprentissage lui prévaut à la maison (« home learning environment »), y compris l’accès à la lecture parentale ou à d'autres activités enrichissantes de loisirs (Kelly et al. 2011). Aux âges scolaires, le système éducatif et sa forte ségrégation sociale, plus ou moins prononcée selon les pays, sont aussi avancés comme pouvant accentuer (ou réduire) les écarts socio-économiques. Beaucoup de ces recherches mettent en avant le caractère dynamique des apprentissages et de la réussite scolaire des enfants, et le risque de creusement des inégalités avec l’avancée en âge. Le caractère dynamique du développement de l’enfant, et l’idée selon laquelle certaines étapes, particulièrement celles de la petite enfance, sont clefs pour « réussir » ensuite sont donc présentes tant dans le débat public, que dans les recherches théoriques. Si de nombreux travaux empiriques font le constat de ces inégalités à chacune des périodes de la vie, ils sont encore peu nombreux à les analyser de manière dynamique et à décortiquer les mécanismes qui produisent ces différences selon l’origine sociale au fil de l’enfance. C’est l’objet de ce projet de constater l’ampleur de ces inégalités à différents âges, mais aussi de comprendre leur formation et déformation, en regardant sur un temps long : de la naissance à l’âge adulte.

Notre projet vise à quantifier ces inégalités, à comprendre leurs déterminants et à saisir leurs conséquences. Pour ce faire, trois axes, correspondant aux différentes périodes de la première partie du cycle de vie qui vont de la petite enfance à l’âge adulte, feront l’objet de travaux spécifiques. Principalement quantitatif, le projet a aussi recours à des méthodes qualitatives pour mieux comprendre la construction des inégalités à ces âges selon le milieu d’origine (origine sociale et origine migratoire). Comprendre les inégalités dans l’enfance c’est aussi mesurer si elles sont plus marquées dans notre pays qu’ailleurs. C’est pourquoi la focale se positionnera à l’international, notamment pour étudier plus précisément les modes de construction des inégalités au fil des âges et le rôle des politiques publiques dans une perspective comparative.

Les méthodes utilisées sont principalement quantitatives, même si le projet a aussi recours à des méthodes qualitatives pour mieux comprendre la construction des inégalités à certains âges selon le milieu d’origine (origine sociale et origine migratoire). Notre approche étant longitudinale, nous mobiliserons essentiellement des sources avec une variation temporelle, qui permette de suivre l’enfant ou l’adolescent à plusieurs moments. Ces données sont de nature diverse. Il peut s’agir de données de panel de la DEPP par exemple ou de la cohorte d’enfants ELFE ou d’autres cohortes étrangères suivent des enfants sur plusieurs années. Des sources administratives de l’enseignement supérieur ainsi que des données d’enquêtes avec une dimension rétrospective seront également mobilisées. Un point commun est qu’elles sont représentatives nationalement afin d’en tirer des conclusions qui peuvent orienter le débat public, et les décideurs politiques.Notre approche se veut le plus souvent causale et mobilisons pour cela des méthodes économétriques. Les chercheurs maitrisent les techniques économétriques des données de panel, d’évaluation des politiques publiques ou d’analyse de parcours qui seront mobilisées dans ce projet.Comprendre les inégalités dans l’enfance c’est aussi mesurer si elles sont plus marquées dans notre pays qu’ailleurs. C’est pourquoi nous comparerons nos résultats à d’autres travaux similaires dans d’autres pays, soit à des travaux antérieurs, soit dans une approche d’emblée comparative dans le cadre d’un projet européen.