La Chine, un géant démographique aux pieds d’argile

La Chine, premier pays au monde par sa population, occupe désormais une place prépondérante sur la scène économique et géopolitique mondiale.

Cette situation de premier plan, la Chine la doit d’abord à sa population : 1,3 milliard d’habitants aujourd’hui, le cinquième de l’humanité, devant l’Inde et l’Afrique. Toutefois, selon les dernières projections démographiques des Nations Unies (2012), la population chinoise pourrait ne jamais atteindre 1,5 milliard d’habitants, plafonnant à 1,45 milliard en 2030 avant d’amorcer une décroissance.

Le « bonus démographique » ne durera pas…

La Chine détient aujourd’hui un avantage considérable sur ses principaux rivaux sur la scène économique mondiale : 70 % de la population est d’âge actif (15-59 ans), contre 65 % au Brésil, 62 % en Inde, 60 % en Europe de l’Ouest ou en Amérique du Nord, et 54 % au Japon. Elle comprend donc une proportion exceptionnellement faible de personnes économiquement dépendantes (enfants et personnes âgées).

Ce « bonus démographique » contribue à stimuler la croissance économique, mais il ne durera pas. Dès 2050, la Chine comptera 220 millions de personnes d’âge actif de moins qu’à l’heure actuelle. Un déficit de main d’œuvre se profile d’ores et déjà dans certains secteurs.

La baisse de la fécondité et l’allongement de la durée de la vie ne cessent de bouleverser la structure par âge de la population chinoise. Aussi les autorités commencent-elles à se soucier du vieillissement démographique, qui s’annonce extrêmement rapide.

Selon les projections démographiques des Nations unies, la part des personnes âgées de 65 ans ou plus, qui était de 7 % en 2000, devrait plus que tripler d’ici 2050, pour atteindre 24 %, la Chine comptant alors 330 millions de personnes âgées.

… et le déficit de femmes se confirme 

La Chine présente une autre caractéristique susceptible de fragiliser sa société : un déficit de femmes. Elle est l’un des rares pays au monde à compter une majorité d’hommes : 104,9 pour 100 femmes en 2010. Ce ratio la place juste derrière l’Inde, qui est le pays le plus « masculin » au monde, avec 106,4 hommes pour 100 femmes en 2011 (contre 98,5 dans le reste du monde).
Comme pour l’Inde, ce surcroît d’hommes résulte de deux facteurs : la pratique croissante d’avortements sélectifs au détriment des filles et une surmortalité féminine anormale due à des négligences de traitement dans la petite enfance.

La préférence de la société chinoise pour les fils est le produit d’un système patriarcal et du confucianisme, qui maintien les femmes en position secondaire dans la famille et la société. Les fils ont l’avantage de perpétuer la lignée familiale et le devoir de prendre en charge les parents dans leur vieillesse. De plus, les couples devant limiter strictement le nombre de leurs enfants, les filles deviennent indésirables du simple fait qu’elles privent les parents de la possibilité d’avoir un fils.

Mais la coercition imposée par la politique de contrôle des naissances n’explique pas tout. Intervient aussi l’évolution récente des comportements de reproduction, qui a généralisé la famille de taille très restreinte. Dans le contexte des réformes économiques, avec l’augmentation du coût de la vie et la libéralisation sociale, de plus en plus de couples limitent spontanément la taille de leur famille. Cette volonté de réduire la descendance, jointe à la préférence pour les garçons, explique le développement important des avortements sélectifs selon le sexe.

Par ailleurs, la libéralisation du système de santé a rendu l’accès aux soins de plus en plus coûteux, obligeant les familles à effectuer un calcul coûts/bénéfices avant de faire soigner leurs enfants. Mais le résultat n’est pas le même pour les deux sexes. Moins valorisées, les filles ont également une mortalité infantile supérieure à celle des garçons.

Élever un fils pour ses vieux jours 

En dépit de la modernisation économique des dernières décennies, la femme chinoise est toujours jugée inférieure à l’homme. Le système clanique patriarcal, fondement de la société, voulait que l’on se marie tôt et que l’on ait beaucoup d’enfants, surtout des garçons. Aujourd’hui, le clan n’est plus la base de l’organisation sociale, mais son idéologie continue de dominer la vie quotidienne. Si le patrimoine familial n’est plus légalement transmis uniquement aux fils, le mariage patrilocal demeure la règle. Lorsqu’elle se marie, une fille quitte toujours sa famille biologique. Entièrement dévouée à sa belle-famille, elle ne doit plus rien à ses propres parents, pas même de s’occuper d’eux quand ils sont devenus vieux, cette charge incombant aux fils et aux belles-filles. Dans les campagnes, on sait qu’en l’absence de toute pension de retraite, il faut « élever un fils pour préparer sa vieillesse ». Pour des centaines de millions de paysans, un fils est la seule assurance vieillesse, l’unique garantie contre la maladie ou l’invalidité.

Déséquilibres sur le marché matrimonial 

L’enjeu démographique lié au déficit de filles est considérable. S’il concerne surtout, depuis trente ans, la population des enfants, il commence à se répercuter aux âges adultes à mesure que les cohortes déficitaires vieillissent. On estime ainsi le surplus d’hommes à 10% à 15% des cohortes d’âges successives, et ce dès les années 2010. Désormais, les hommes prétendant au mariage devront accepter des écarts d’âge entre époux plus importants et, leur prospection devant durer plus longtemps, leur âge au mariage devrait augmenter.
Pour répondre en partie à la disponibilité réduite en partenaires féminines, des réseaux nationaux et transnationaux se mettent en place. À la frontière sino-vietnamienne, par exemple, la migration des femmes à des fins de mariage se développe. À cela deux raisons : le déficit de femmes particulièrement aigu dans les provinces chinoises méridionales et l’augmentation des coûts du mariage pour les hommes depuis les réformes économiques des années 1980. Depuis quelques années, des réseaux de trafiquants de femmes sont régulièrement démantelés. Pour des paysans pauvres et peu éduqués, le recours aux trafiquants reste moins onéreux que la recherche d’une épouse par les voies traditionnelles. En outre, cette demande des paysans chinois répond aux stratégies économiques des migrantes vietnamiennes qui placent dans ce type de mariage l’espoir d’une vie meilleure.

Une préoccupation forte des autorités chinoises 

En Chine, diverses lois datant des années 1990 interdisent tout mauvais traitement ou discrimination à l’encontre des filles (infanticide, abandon), de même que la détermination prénatale du sexe et la pratique d’avortements sélectifs. Lancée en 2001, la campagne « Chérir les filles » cherche à promouvoir l’idée d’égalité des sexes, notamment dans les manuels scolaires, et à améliorer les conditions de vie des familles n’ayant pas eu de fils. Dans certaines régions, par exemple, les couples concernés bénéficient d’un fonds de soutien et sont exemptés d’impôts agricoles et de frais de scolarité obligatoire pour leurs filles, jusqu’à ce qu’elles soient en âge de se marier. Toutefois, les effets de cette campagne ne sont pas encore mesurables, le dernier recensement (2010) ayant révélé un rapport de masculinité à la naissance toujours très au-dessus de la norme : autour de 120 garçons pour 100 filles à la naissance, contre 105 à 106 dans des circonstances ordinaires.

Isabelle Attané
Courriel : attane@ined.fr