Les déracinés de Cherchell

Camps de regroupement dans la guerre d’Algérie (1954-1962)

L’issue des guerres asymétriques dépend dans une large mesure du contrôle des populations. La guerre d’Algérie (1954-1962) n’a pas échappé à cette règle. Face à la grande dispersion des populations rurales dans les zones montagneuses, les chefs militaires français engagent dès l’année 1955 des opérations de regroupement de population, pour lutter contre les mouvements d’insurrection. L’armée française estime en effet qu’elle trouve un support essentiel parmi ces populations. D’abord limités aux zones de combats, les regroupements prennent un caractère systématique englobant l’ensemble du territoire algérien pour concerner plus du quart de la population algérienne. La paysannerie pauvre connaît alors un déracinement profond.

L’enquête menée dans la région de Cherchell porte une attention particulière aux trajectoires individuelles de ces déracinés de la guerre d’Algérie. Elle a consisté à réaliser des entretiens en 2015-2016 avec des personnes ayant subi ces regroupements. Cette enquête accorde une place toute particulière au vécu des personnes regroupées et des acteurs de ces regroupements, qui ont contrôlé activités et mouvements de la population rurale. Partant de leurs conditions de vie et de travail (petits paysans pauvres) avant le regroupement, leur récit permet de saisir les transformations de leur vie individuelle et collective, induites par l’arrachement qu’ils ont subi et les années passées dans un centre de regroupement. Quelle a été leur relation au nouvel État, étaient-ils revenus à leur condition ancienne ? Les trajectoires individuelles ont-elles supplanté les destins collectifs ? Les personnes passées par ces camps ont-elles alimenté les flux migratoires internes et internationaux ? À ces questions, il faudrait ajouter celles liées au devenir de ces camps qui, à la suite du « plan de Constantine[1] », ont reçu le nom de « nouveaux villages » dans la perspective d’une politique de rénovation rurale projetée durant la décennie qui a suivi l’indépendance de l’Algérie.

[1] Plan de Constantine (1959-1963) : élaboré à la suite de l’arrivée au pouvoir du Général de Gaule en 1958, son objectif était d’accélérer le développement économique et social de l’Algérie de manière à réduire le mécontentement de la population et l’influence du FLN. Il fait suite aux perspectives décennales élaborées en 1956 avec des objectifs similaires. Le Plan de Constantine prévoyait la construction de 200 000 logements, la création de 400 000 emplois industriels, la distribution de 250 000 hectares de terres agricoles aux pays sans pauvres et de scolariser tous les enfants en âge de l’être par un vaste programme de construction de classes etc. 

Source : Kamel Kateb, Nacer Melhani et M’hamed Rebah, 2018, Les déracinés de Cherchell.

Contact : Kamel Kateb, Nacer Melhani et M’hamed Rebah

En ligne : mars 2018