Ariane Pailhé et Anne Solaz

directrices de recherche à l’Ined répondent à nos questions sur la répartition des tâches domestiques en période de confinement 

(Entretien réalisé en janvier 2021)

Du fait des configurations professionnelles et sociétales bouleversées, le premier confinement a-t-il modifié la répartition des tâches domestiques au sein du ménage ?

Le premier confinement a généré une surcharge de travail domestique et parental. Il a fallu préparer davantage de repas du fait de la fermeture des cantines et restaurants, ou faire plus de ménage en raison de la présence continue dans le logement. Avec la fermeture des modes d’accueil et des écoles, les parents ont dû s’en occuper toute la journée et mettre en œuvre « l’école à la maison ».

Et les femmes ont contribué davantage que les hommes. Selon l’enquête EpiCov  menée par l’Inserm et la Drees en mai 2020, plus de la moitié des femmes de 20 à 60 ans ont consacré au moins deux heures quotidiennes aux tâches domestiques (dont 18% plus de quatre heures), tandis que c’est le cas de 28% des hommes seulement (dont 9% plus de quatre heures). Les femmes ont aussi consacré plus de temps à leurs enfants : plus de six heures quotidiennes pour 43 % des mères, contre 30 % des pères.

La division des tâches entre conjoints est restée fortement inégalitaire pendant la période du confinement. Les femmes ont ainsi passé plus de temps que leur conjoint aux tâches domestiques dans un couple sur deux, tandis que la situation inverse où c’est l’homme qui en fait plus concerne 7% des couples. Ces tâches ont été également partagées dans 42% des couples. Les tâches parentales sont partagées un peu plus équitablement.

Le confinement a entraîné une modification de la répartition des tâches domestiques et parentales pour la moitié des parents d’enfants de 8-9 ans selon l’enquête réalisée dans les cohortes d’enfants (SAPRIS-ELFE/EPIPAGE2-Ined/Inserm). Les femmes ont plus souvent augmenté leur contribution (28%) que les hommes (22%). Les enfants ont également participé davantage. 

Vous montrez que l’inégal partage des tâches entre conjoints se traduit par une augmentation des conflits intrafamiliaux. Quels sont les autres facteurs qui influent sur les disputes ?

13 % des personnes en couple se sont plus disputées que d’habitude pendant le premier confinement. Les disputes ont d’autant plus augmenté que le travail domestique était inégalement réparti.
Les disputes ont été plus fréquentes pour les moins de 40 ans, les parents, surtout ceux de familles nombreuses. Les conditions de logement ont affecté la relation conjugale : disposer d’un espace extérieur a été un facteur d’apaisement tandis que le surpeuplement a été générateur de conflits. Les changements d’activité professionnelle en raison du confinement ont quant à eux peu joué.

A-t-on observé des différences selon que les enquêtés étaient au chômage partiel, en télétravail ou continuaient de travailler à l’extérieur ?

Les femmes en télétravail ont passé moins de temps aux tâches domestiques que celles ayant travaillé à l’extérieur, ce qui semble paradoxal. Cela s’explique en partie par le fait que le temps domestique dépend fortement de la situation sociale et financière du ménage. Or, le télétravail a davantage concerné les femmes occupant des emplois qualifiés, qui consacrent en moyenne moins de temps aux tâches domestiques.
Relativement à leur conjoint, les femmes ont assuré une plus grande part des tâches domestiques quelles que soient leur situation d’activité professionnelle ou leurs modalités d’emploi. Le partage des tâches a été moins déséquilibré quand les conjoints ont tous deux continué à travailler. Mais la prise en charge des tâches domestiques a encore plus reposé sur les femmes quand leur conjoint travaillait à l’extérieur plutôt qu’en télétravail, tandis que le fait que la femme travaille à l’extérieur ou en télétravail n’a pas joué sur la répartition des tâches.