Claire-Lise Gaillard

Claire-Lise Gaillard, post-doctorante à l’Ined, conduit des recherches sur des corpus de petites annonces.

(Entretien réalisé en juin 2023)

Quel était le sujet de votre thèse ?

Ma thèse portait sur l’histoire du marché de la rencontre du XIXe au XXe siècle. Une nouvelle profession se développe en effet dans le sillage de la Révolution Française : l’intermédiation matrimoniale marchande. Les agences matrimoniales sont les filles des agences d’affaires (des agences au service d’une clientèle bourgeoise et qui gèrent ventes, locations, voyages ou encore affaires administratives), qui sont trop nombreuses à Paris sous la Monarchie de Juillet pour ne pas se faire concurrence. Il a fallu reconstituer l’histoire de cette profession stigmatisée, moquée par les vaudevilles et les chroniques judiciaires du XIXe siècle. L’étude des registres d’une grande agence parisienne m’a permis de montrer que les agences s’adressent d’abord à une clientèle masculine, à qui elles vendent les moyens d’accéder à des épouses au-dessus de leur condition, qui ignorent tout de l’affaire, et qui seraient restées hors de portée du client sans l’intervention de l’agence. Sous la Troisième République ce marché s’adosse au développement des petites annonces qui permettent de toucher une clientèle moins parisienne, moins bourgeoise, et qui donne aux femmes une plus grande marge de manœuvre.

Que nous apprend le corpus des petites annonces ?

L’étude de ces annonces m’a permis de relire l’histoire du choix du conjoint et les étapes de son individualisation. Les annonces matrimoniales sont en effet des sources qui donnent un accès privilégié à la compréhension des attentes des hommes et des femmes dans le choix de leur partenaire. Le traitement quantitatif de trois corpus d’annonces au fil des XIXe et XXe siècle m’a permis de nuancer l’idée d’un triomphe du mariage d’amour au tournant du siècle. Économie et affection restent fondamentalement imbriquées au fil de la période, et les unions se veulent toujours très majoritairement endogames après la Grande Guerre. La rupture est à trouver dans l’ordre des discours plus que des pratiques : l’assortiment des conditions sociales n’est plus affiché comme la condition sine qua non des mariages heureux. Le poids de la famille diminue cependant à en même temps que l’enjeu patrimonial du mariage. Mais plus les enjeux économiques autour des mariages sont importants, plus l’emprise des cadres sociaux familiaux est pérenne ; et la participation active des femmes dans le choix du conjoint reste inachevée dans l’entre-deux-guerres car dans les annonces les rôles sont clairement répartis : le choix revient aux hommes, et le consentement aux femmes. Cette inégalité́ structurelle a de puissants effets sur les prétentions matrimoniales et ensuite sur les mariages. 

De quoi traite l’ouvrage Histoire de célibats que vous avez co-dirigé et qui est récemment paru ?

J’ai effet codirigé l’ouvrage collectif Histoire de célibats avec ma collègue Juliette Eyméoud, docteure en histoire moderne. Nous avons souhaité interroger le célibat sur le temps long de l’histoire (du Haut-Moyen Âge au XXe siècle), et à l’échelle des trajectoires individuelles. Cette échelle historique met en évidence à quel point « le célibat » n’existe pas (le mot lui-même n’apparait dans les dictionnaires qu’au XVIIIe siècle). La définition évolue selon l’époque mais aussi selon l’âge, le genre ou la classe sociale des individus. Nous avons donc choisi suivre dix parcours de vie pour mesurer les effets du célibat, et de sa progressive stigmatisation sur les parcours affectifs, sexuels, professionnels, sociaux et familiaux des individus. Les autrices et auteurs réunis dans cet ouvrage ont donc joué le jeu de la pensée par cas, pour donner à voir des trajectoires historiquement et socialement situées, qui ouvrent des pistes pour une histoire des célibataires qui reste encore à écrire en partie.

Sur quoi portent les travaux de recherche que vous conduisez actuellement à l’Ined ?

Dans le cadre de mon post-doctorat je cherche à suivre l’évolution des critères de choix des couples au XXe siècle, en comparant deux moments clés : l’entre-deux-guerres qui consacre l’idée d’une entente sexuelle dans le mariage et la décennie 1970 marquée par la politisation de l’intime et la baisse du taux de nuptialité. Je compare 4 corpus d’annonces dans une analyse diachronique et synchronique pour comprendre comment se reconfigurent les critères de choix des partenaires selon que la relation est plus ou moins instituée. La question qui sous-tend ces recherches est celle-ci : assiste-t-on à l’émergence d’un libre marché des désirs lorsque les relations amoureuses sont délivrées du cadre matrimonial ?