Julie Tréguier

Julie Tréguier, doctorante à l’Ined, nous explique les différences de décisions relatives au départ à la retraite entre femmes et hommes.

(Entretien réalisé en avril 2022)

En quoi les décisions relatives au départ à la retraite diffèrent-elles entre les femmes et les hommes ? Quel est l’arrière-plan démographique à votre analyse économétrique ?

En économie, la décision individuelle de départ à la retraite est souvent vue comme la résultante de l’arbitrage entre le travail (emploi rémunéré) et les loisirs (la retraite), sous la contrainte d’avoir des ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins de consommation tout au long de la vie. Cet arbitrage fait intervenir des dimensions telles que l’aversion au risque ou les préférences sociales, qui sont différenciées entre les femmes et les hommes.
Nos analyses suggèrent que, pour décider de leur âge de départ, les hommes sont sensibles aux incitations financières du système de retraite. C’est-à-dire qu’ils ont davantage tendance à partir à la retraite à un moment qui coïncide avec l’atteinte de l’optimum de montant de patrimoine retraite (pensions cumulées pendant toute la retraite) qu’ils peuvent atteindre. Les femmes font davantage intervenir les âges légaux de retraite dans leur décision de départ à la retraite : l’atteinte de l’âge d’ouverture des droits ou l’âge d’annulation de la décote.
La population des femmes est cependant très hétérogène. En termes de décision de départ à la retraite, les populations que l’on identifie usuellement comme les plus fragiles n’apparaissent pas comme semblables. En effet, les incitations financières jouent un rôle plus important pour les femmes à très faibles revenus que pour les femmes à faibles revenus ayant eu au moins trois enfants. C’est l’inverse concernant l’atteinte de l’âge d’ouverture des droits, qui correspondrait à un départ « le plus tôt possible ». Une piste d’explication serait que les femmes à faibles revenus ayant au moins trois enfants fassent davantage entrer des considérations familiales dans leur décision de retraite.

Qu’a modifié la réforme des retraites de 2003 ?

La réforme des retraites de 2003 a modifié les incitations financières à partir à la retraite. Tout d’abord, avec la mise en place d’une surcote, le législateur avait pour ambition d’encourager les individus à rester plus longtemps sur le marché du travail en augmentant leur pension pour toute période passée en emploi au-delà du taux plein.  Cette réforme s’est appliquée indifféremment aux femmes et aux hommes alors que les hommes sont plus sensibles à ces incitations. Ces derniers ont donc davantage décalé leur âge de départ à la retraite, pour bénéficier de pensions plus élevées. 
Les femmes ont, plus souvent que leurs homologues masculins, des carrières incomplètes. La réforme de 2003, qui a également diminué l’ampleur de la décote, a contribué à réduire la pénalité qu’elles subissaient sur le montant de leur pension. Ainsi, cette dernière a en moyenne augmenté des suites de la réforme, et d’une ampleur similaire à l’augmentation de celle des hommes.
La situation des femmes vis-à-vis de la réforme de 2003 est également hétérogène. Les femmes à très faibles revenus, qui sont nombreuses à attendre l’âge d’annulation de la décote pour pouvoir bénéficier du minimum contributif, aspect inchangé par la reforme de 2003, voient leur patrimoine retraite diminuer du fait de la réforme. A l’opposé, les autres bénéficient d’une moindre pénalisation de leurs trimestres manquants et leur patrimoine retraite moyen augmente significativement.