La population vue du ciel
Comment les images satellites enrichissent les données démographiques habituelles ? Ces images renseignent sur l’agriculture, l’urbanisation, le climat, la pollution…Cette approche tombe à pic pour faire le lien entre évolutions démographiques et changements environnementaux. Elle peut même dans certaines conditions remplacer un recensement pour simplement compter le nombre d’habitants d’un territoire précis.
Le 24 octobre 2025, l’institut fêtera ses 80 ans. Depuis sa création, il analyse les dynamiques de population en France et dans le monde pour comprendre les évolutions démographiques et sociétales de demain. Valérie Golaz, chercheure à l’Ined, a répondu à nos questions en s’appuyant sur ses propres travaux et ceux d’une nouvelle génération de doctorants de l’Ined.
(Interview réalisé en juin 2025)
Qu’est-ce que les technologies satellitaires apportent à l’étude des interactions entre population et environnement ?
Des données satellitaires de plus en plus fines et fréquentes nous arrivent, dans le domaine de l’observation de la terre. Avec une couverture planétaire, elles constituent une source d’information de plus en plus précise sur les usages du sol, le bâti, le climat ou l’atmosphère. Ces types de données sont utilisés depuis longtemps dans d’autres disciplines, mais en sciences humaines et sociales leur usage ne se développe que depuis une vingtaine d’années. Un changement de perspective s’est opéré. Alors que dans un premier temps on ne regardait que les effets de la population sur l’environnement (transformation des usages des sols, urbanisation), se développent maintenant des travaux portant sur la relation inverse : le rôle de l’environnement et de ses transformations, entre autres facteurs, dans les inégalités au sein de la population, sur la santé, sur les migrations.
Comment est-ce que la démographie s’en empare ?
L’accessibilité de données environnementales de ce type permet une contextualisation systématique de nos données habituelles (données administrative, enquêtes, recensements, …). Cela ouvre la possibilité d’une meilleure prise en compte dans l’analyse de phénomènes démographiques, au-delà des éléments habituels, des caractéristiques du cadre de vie, de l’environnement. A une date donnée (en transversal), les caractéristiques individuelles peuvent être reliées, en milieu urbain comme rural, à la catégorisation des sols ou à la pollution de l’air.
Dans une perspective dynamique (en longitudinal), cela permet également de prendre en compte le changement environnemental dans l’étude des trajectoires individuelles suivies au fil du temps, même lorsqu’elles s’inscrivent dans des lieux différents, sans collecte particulière. On peut ainsi doublement aborder les effets des transformations du climat sur la population. Enfin, par une observation de plus en plus fine des bâtiments, de leur densité, de leur hauteur, les satellites apportent aujourd’hui des données qui permettent d’estimer les populations sans forcément devoir mener de recensement exhaustif sur l’ensemble de la planète.
Aujourd’hui l’un des produits les plus utilisés dans ce domaine sont les données carroyées du programme Worldpop, avec des estimations de population par sexe et groupe d’âges de 2000 à 2030. Ces données permettent elles-mêmes d’autres types d’analyses, comme des analyses localisées de l’exposition aux risques environnementaux par exemple.
Les données satellitaires peuvent-elles remplacer les recensements de population ?
Elles ne le pourront jamais complètement ! Ceci pour deux raisons :
- Premièrement, du point de vue du dénombrement de la population, même si les valeurs estimées sont de plus en plus précises, cela ne pourrait se faire sans recensements qui, même s’ils ne sont pas exhaustifs, couvrent la diversité des situations en présence pour entrainer les modèles statistiques et valider les résultats.
- De plus, un recensement n’est pas simplement la production du nombre de résidents des zones administratives d’une région ou d’un pays. C’est aussi la collecte de caractéristiques des individus, des structures domestiques et de parenté, la taille et le confort des logements qui permet ensuite des analyses localisées. Le recensement reste incontournable pour les besoins d’un pays, pour la connaissance de sa population. Les données satellitaires permettent simplement de produire des estimations, moins détaillées, moins sûres en fin de compte, dans des zones ou des pays où il n’est pas possible d’envoyer des agents recenseurs sur le terrain.
Cela a été le cas par exemple lors du dernier recensement du Burkina Faso, pour apporter des résultats concrets dans la partie Nord du pays en proie à une insécurité trop importante pour pouvoir y mener le recensement.
Sources :
Basile Rousse, Sylvain Lobry, Géraldine Duthé et al., 2024, "Domain Adaptation for Mapping LCZs in Sub-Saharan Africa with Remote Sensing: A Comprehensive Approach to Health Data Analysis", IEEE Journal of Selected Topics in Applied Earth Observations and Remote Sensing 17: 13016-13029
Attoumane Artadji, Léo Lipovac , Heninjara Hasina Andriamanantena et al., 2024, "Can we estimate sub-Saharan Africa’s population from remote sensing images and land cover mapping?". In: Julie Cardi (Ed.), Mélanie Favrot (Ed.), Bénédicte Gastineau (Ed.) et al., Digressions, Marseille : Laboratoire Population Environnement Développement (LPED), p. 186-194
Darin, E., Kuépié, M., Bassinga, H., Boo, G. et Tatem, A.-J. (2022). La population vue du ciel : quand l’imagerie satellite vient au secours du recensement. Population, 77(3), 467-494