Olivier Thévenon

nous parle de la modulation des allocations familiales

Ined-Colette Confortès

 Olivier Thévenon est l’un des responsables de l’unité de recherche démographie économique de l’Ined. Ses recherches portent notamment sur les politiques familiales des pays de l’OCDE et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Il analyse les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement en matière de politique familiale.


(Entretien réalisé en octobre 2014)

 

La modulation des allocations familiales en fonction du revenu a finalement été retenue dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015. Vous paraît-elle une bonne solution ?

Moduler les allocations familiales en fonction du revenu présente l’avantage de ne pas toucher aux  aides dont bénéficient les ménages pour financer leurs frais de garde des enfants. Leur réduction, prévue dans le projet initial, laissait craindre de plus grands effets : elle aurait aussi pesé sur  les familles avec un enfant alors que les allocations familiales ne concernent, par définition, que celles que les familles avec au moins deux enfants.  

De plus, cette baisse des subventions des frais de garde, couplée à la réduction du congé parental et à l’incertitude qui pèse aujourd’hui sur le développement des services d’accueil risquait d’accroître les difficultés que certains ménages éprouvent pour concilier travail et vie familiale. Or, les travaux actuels montrent que ce sont de plus en plus ces aides à la conciliation qui soutiennent le développement de l’emploi de femmes, contribuent au niveau de vie des familles et expliquent le dynamisme de notre fécondité.

Ses détracteurs l’accusent de remettre en cause le principe fondamental d’universalité des allocations familiales. Qu’en pensez-vous ?

D’abord, le principe d’universalité n’implique pas forcément l’uniformité des montants quel que soit le niveau de revenu des familles. Il y a là un glissement de vocabulaire qui peut servir certains intérêts mais qui n’aide pas à la clarification.

D’autre part, ce principe même apparaît déjà un peu écorné en France puisque les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant ­et non du premier, comme c’est le cas dans l’ensemble des autres pays européens octroyant de telles allocations.

Enfin, juger du principe d’universalité au regard des seules allocations familiales me paraît un peu spécieux. Les politiques familiales sont, en réalité, composées d’un grand ensemble d’aides, chacune bénéficiant à des catégories particulières de familles. Au total, il me semble que l’ensemble des familles, quel que soit leur niveau de revenu, y trouvent un intérêt. Les ménages les plus aisés ont perdu certains avantages, mais bénéficient encore largement des politiques familiales, à travers le quotient familial et les réductions d’impôt pour frais de garde ou emploi de nourrice.  Une évaluation sérieuse de l’effet des réformes récentes sur le revenu net des familles permettrait de lever les doutes à cet égard.

La réforme des politiques familiales paraît abordée uniquement par le prisme d’une réduction des dépenses. Percevez-vous une orientation à long terme ?

Vouloir réduire les dépenses de la branche famille de la Sécurité sociale conduit à fortement circonscrire le périmètre de la réflexion. Pourtant, une réforme plus globale de notre système socio-fiscal pourrait permettre de parvenir à des économies équivalentes, voire beaucoup plus substantielles, avec plus d’efficacité et de cohérence. Il est curieux, par exemple, qu’une réduction des avantages dont bénéficient les couples mariés ou pacsés sans enfant par rapport aux couples « cohabitants » à travers le quotient  conjugal ne soit pratiquement jamais proposée.

Le quotient conjugal représente un avantage fiscal d’une dizaine de milliards environ. Abaisser les plafonds pourrait servir le principe d’équité horizontale, au cœur du quotient familial, en opérant une certaine forme de redistribution des ménages sans enfant vers les familles avec enfants. De plus, d’après certaines études, au sein des couples où la différence de salaire des conjoints est élevée, ce quotient conjugal a un effet faible mais désincitatif sur l’emploi des femmes.

Mais il serait erroné de ne voir, dans les réformes récentes visant les politiques familiales, qu’une volonté de baisser les dépenses. Cette baisse, non contestable, s’est accompagnée d’une revalorisation de certaines prestations bénéficiant aux familles les moins aisées, d’un plan ambitieux de développement des services d’accueil de la petite enfance et d’un renforcement des programmes d’aides à la parentalité. L’horizon qui semble ainsi fixé est d’accompagner davantage les familles et les enfants à travers plus de services, plus adaptés à leurs besoins multiples, aux nouveaux modes de vie familiaux et à la diversité des populations. Les politiques familiales s’adaptent au paysage diversifié que constitue aujourd’hui l’ensemble des familles. S’il y a un universalisme à défendre aujourd’hui, c’est peut-être celui qui viserait à ce que chaque famille ait accès à des services adaptés à ses besoins.