Fabrice Cahen

Historien, chargé de recherche à l’Ined, Fabrice Cahen nous présente le « séminaire itinérant » mis en place cette année par l’Ined, avec le lycée Henri Wallon d’Aubervilliers.

Ined

(Entretien réalisé en décembre 2017)

Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?

Comme beaucoup de mes collègues, je ne conçois pas la recherche indépendamment de sa transmission. Pour autant, il me semble que l’on se trompera toujours à considérer que la production de connaissances doive répondre immédiatement à la demande sociale ou se plier au formatage qu’imposent les médias de masse : c’est la logique même de la science que de se spécialiser et de se complexifier. Pour surmonter cette contradiction, il faut multiplier les voies de circulation des savoirs et aller au contact de publics aussi variés que possible. Il existe aujourd’hui de nombreuses formes de médiation scientifique – conférences grand public, sites internet, essais, bandes dessinées... - et l’Ined a un savoir-faire reconnu en la matière (revue Population & Sociétés, mise à disposition d’outils sur son site Internet…). Ce « séminaire itinérant », dont Silvia Huix, chargée de communication, et moi-même assurons la coordination relève d’une démarche complémentaire mais différente. Il s’agit avant tout de faire comprendre comment on produit les résultats scientifiques, condition selon nous d’une meilleure réception et d’une meilleure appropriation des connaissances.       

En quoi consiste concrètement le dispositif ?

Ce qui caractérise un « séminaire » de recherche, c’est que les participants doivent respecter une éthique de la discussion, fondée sur un échange d’arguments rationnels. Et ce, même lorsqu’il y a débat : une controverse n’est pas une polémique. Notre séminaire est itinérant en ce sens qu’il se tient hors de l’Ined, dans un établissement d’enseignement secondaire, avec lequel nous construisons une relation privilégiée. Plusieurs ateliers sont organisés dans l’année, faisant intervenir des chercheurs qui présentent leur parcours, leurs questionnements scientifiques, leurs matériaux et leurs démarches d’analyse. Point essentiel, nous demandons aux intervenants de présenter leurs recherches telles qu’elles se font, sans cacher les tâtonnements rencontrés et les éventuelles divergences de vues avec leurs pairs.  Le public – qui inclut les élèves, les enseignants qui les encadrent et tous les personnels de l’établissement qui souhaitent participer, sans distinction aucune – est incité à interagir, à poser toutes les questions sans retenue ni tabou.
Pour les enseignants, c’est l’occasion de diversifier les ressources et les situations d’apprentissage. Pour les autres participants, c’est la possibilité d’aborder les sciences de la population, la sociologie, l’histoire ou l’économie, en rencontrant celles et ceux qui la font, et de manière participative. Pour les orateurs, c’est une expérience enrichissante car il est rare d’avoir un « retour » aussi immédiat sur son travail, de telles opportunités de clarifier sa pensée ou de dissiper d’éventuels malentendus, sur les sciences humaines et sociales en général ou sur un sujet particulier. . .

Comment sont pensés ces ateliers ? Quels en sont les contenus ?

Garant de la rigueur scientifique des contenus et de la légitimité professionnelle des intervenants, l’Ined définit les thématiques et le programme des ateliers en concertation avec les enseignants impliqués. Les  interventions sont préparées très en amont, avec une réflexion sur la représentation de la recherche dans sa diversité et sur la manière de s’adresser à chaque public (selon l’âge, le niveau de classe, la filière, etc.). Nous pensons le dispositif dans sa globalité, imaginons un fil conducteur qui  relie les séances pour produire un ensemble cohérent et aboutir à une vraie progression de la réflexion collective. Pour cette expérience pilote, nous nous appuyons sur la commémoration  de mai 68 (dont on fêtera le 50e anniversaire) pour mener une comparaison entre la jeunesse des années 1960 et celle d’aujourd’hui, à travers différents axes : évolutions de la famille et de la vie privée, inégalités sociales,  place de la technologie dans l’existence, etc...

Pourquoi avoir choisi le lycée Henri Wallon ?

Le choix de cet établissement est né d’une rencontre avec Hayat El-Kaaouachi, professeure d’histoire-géographie, qui s’intéresse depuis longtemps aux passerelles entre l’enseignement secondaire et le monde académique. Avec le soutien enthousiaste de son chef d’établissement, elle nous a permis de tester le séminaire itinérant dès l’an passé. Le fait que ce collège-lycée soit situé sur la commune d’Aubervilliers fait également sens, puisque l’Ined rejoindra le Campus Condorcet en 2019, dans la même localité.