Julie Vallée, Aurélie Douet et Guillaume Le Roux sur le Mobiliscope

Julie Vallée, directrice de recherche au CNRS (UMR Géographie-cités), Aurélie Douet, auparavant chargée d’études à l’Ined et actuellement ingénieure d’études au CNRS (UMR Géographie-cités), et Guillaume Le Roux, chargé de recherche à l’Ined, nous présentent l’outil Mobiliscope et les développements récents de cet outil. 

Qu’est-ce que le Mobiliscope ?

Le Mobiliscope est un outil librement accessible en ligne qui donne à voir à l’aide de cartes et de graphiques interactifs les variations de la population présente dans les villes au cours des 24 heures de la journée, au gré des déplacements que les habitants effectuent pour se rendre à leurs lieux de travail, d’études, de loisirs ou encore pour faire leurs courses. Il s’attache notamment à quantifier l’ampleur de la ségrégation socio-spatiale dans les villes au cours de la journée. Il met ainsi en lumière les dynamiques quotidiennes des territoires à rebours de la vision statique et résidentielle qui est habituellement de mise lorsque les territoires et leur mixité sociale sont décrits à partir de leur seule population résidente sans tenir compte des mobilités entrantes et sortantes. Le Mobiliscope permet actuellement d’explorer les dynamiques quotidiennes de 58 villes de 5 pays.

Sur quelles données initiales repose le Mobiliscope ?

Le Mobiliscope est construit à partir des données de mobilité issues de grandes enquêtes auprès de la population. En France, ce sont les enquêtes mobilité certifiées Cerema (EMC²) qui renseignent les déplacements réalisés quotidiennement au sein d’un territoire (périmètre plus ou moins vaste généralement centré autour de la ville qui commande l’enquête) par un échantillon représentatif de la population. Ces enquêtes nous apportent des informations précises sur les déplacements (origine, destination, horaire, mode de transport, motif) mais également sur les personnes qui réalisent ces déplacements (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, etc.). Avant d’être affichées dans le Mobiliscope, ces données individuelles de déplacements sont d’abord transformées en données individuelles de présence et ensuite agrégées par heure et par secteur géographique selon les caractéristiques sociodémographiques des personnes mais aussi selon les activités réalisées et les modes de déplacements.
Même si le Mobiliscope est développé à partir de données individuelles sur les déplacements qui (à quelques exceptions près) ne sont pas libres, rien n’interdit que les données agrégées de présence affichées dans l’outil soient librement mises à disposition puisque ces agrégations permettent de garantir l’anonymat des personnes enquêtées et la confidentialité des données personnelles recueillies. Le Mobiliscope propose ainsi aux utilisateurs d’accéder librement aux données de présence horaires affichées dans l’outil afin que ces données soient « aussi ouvertes que possible, aussi fermées que nécessaire ». 

Quelles sont les principales évolutions du Mobiliscope depuis sa création ?

Le Mobiliscope existe depuis 2017, date à laquelle la première version a été conçue et développée par des géographes et des géomaticiennes de l’UMR Géographie-cités.

Cette première version concernait uniquement l’Île-de-France au travers de deux indicateurs permettant de caractériser la population présente en fonction de leur niveau de diplôme et de leur catégorie socio-professionnelle. Entre 2018 et 2022, l’équipe de l’UMR Géographie-cités a enrichi l’outil d’autres indicateurs comme l’âge, le sexe, le motif de déplacement et le mode de transport. Ce sont aussi 49 agglomérations françaises et leur périphérie qui ont progressivement été ajoutées avec le soutien financier de l’Agence National de la Cohésion des territoires. Un partenariat avec le Québec a également permis d’intégrer 6 villes québécoises à l’outil. Tout récemment le partenariat signé entre l’UMR Géographie-cités et l’Ined a permis d’ajouter (dans la nouvelle version mise en ligne en avril 2022), trois villes sud-américaines : Bogotá en Colombie, Santiago au Chili et São Paulo au Brésil.

Dites-en nous un peu plus sur cette nouvelle version mise en ligne en avril 2022 et sur les enseignements qui en sont issus.

Les principales nouveautés de cette nouvelle version concernent l’ajout de ces trois villes latino-américaines avec une traduction de l’interface en espagnol, la création d’un indicateur relatif à l’informalité professionnelle (spécifique à ces villes latino-américaines) ainsi que la mise à disposition en accès libre des données associées. Avec cette nouvelle version, il est ainsi possible d’analyser la ségrégation sociale du quotidien dans ces villes latino-américaines où les inégalités sont particulièrement fortes. De fait la ségrégation des populations selon le niveau de revenus s’avère bien plus élevée que celle observée en France ou au Canada, et ce quelle que soit l’heure de la journée. On observe aussi que l’utilisation des modes de transport doux (marche, vélo) relève de logiques très différentes : alors que les modes doux constituent le mode principal de déplacement des populations présentes dans les centres des villes françaises et canadiennes, ce sont à l’inverse par les populations présentes dans les périphéries populaires des villes latino-américaines qu’ils sont les plus utilisés. 

Cette nouvelle version introduit également de nouveaux indicateurs comme la composition du ménage, indicateur déployé pour l’ensemble des 58 villes intégrées à l’outil qui accroit encore les angles possibles de comparaisons inter-villes.